Forces Vitales : Poétiques, intimes, spirituelles
Poétiques, intimes, spirituelles. Les sept pièces présentées sur scène dans le cadre de la dernière soirée tangente au Monument national ont cela en commun qu’elles naviguent à travers différents aspects de la vie. Greg «Krypto» Selinger, Daniel «Wook» Jun et Abdel-Hanine «Abnormal» Madini nous entrainent dans un voyage au coeur de l’existence humaine. Les artistes font des détours par la biologie, physique, spiritualité, philosophie,… autant de disciplines qui analysent et questionnent le vivant et au-delà. Mais loin de se contenter d’incarner des concepts, de représenter, les pièces donnent à voir ce qui façonne l’existence humaine: pulsions, émotions, ressentis. Ainsi, nous sommes témoins des questionnements, peurs, joies, doutes habitant les danseurs. Ils partagent avec nous leurs quêtes respectives de vérité(s).
La soirée s’ouvre avec Albeit, suivie de One day sooner, créées et interprétées par Greg « Krypto» Selinger. Dans cette première pièce, le danseur semble tester les limites de son corps en relation avec la gravité. Dans un flow parfaitement contrôlé, il soumet celui ci à des forces invisibles qui le maintiennent dans des positions d’équilibres extrêmes, qui ne menacent pourtant jamais de se rompre.
J’ai d’abord été déstabilisée par le travail de Krypto. La place des mots, du texte déclamé par le danseur ne semblait pas faire de sens à mes yeux. Quel était le rapport de la parole au mouvement? S’agissait-il d’une simple illustration? L’un ou l’autre n’était-il pas assez «fort», assez parlant pour véhiculer le message de l’artiste?C’est grâce à la constance de l’association texte/mouvement le long de la soirée que s’est révélée pour moi la relation symbiotique liant les deux entités. Il semble que les mots prennent vie dans le corps, ce qu’on observe, c’est la façon dont ils résonnent chez le danseur.
C’est la sincérité de Krypto qui m’a touché dans One day sooner. Il est difficile,au début de la pièce de saisir à qui sont adressées ses paroles. Sommes nous les voyeurs d’un conversation qui devait rester entre l’artiste et lui-même? Puis il s’adresse à nous directement, reconnaît notre présence et nous inclut dans la performance. Avec une simplicité désarmante, il nous livre ses interrogations et reflexions sur le monde, l’humanité, la mort.
Des disques de lumières animent la scène pour les trois pièces de Abnormal et Wook. Dans la première pièce, Labyrinth, le duo de danseur se cherche, s’esquive, s’ignore. L’espace est instable, fuyant. Pas le temps de reprendre son souffle, à peine celui de saisir ce qu’il se passe sous nos yeux. On ne peut pas parler des solos des deux poppers sans parler du rapport à la musique. Elle met en mouvement les corps, véhicule du sens et des émotions.Tantôt, les corps des danseurs semblent soumis à ses vibrations, tantôt ils se laissent habiter par elle et la relation se fait plus harmonieuse.
Je pense à cet instant du solo d’Abnormal où j’ai eu l’impression que son corps semblait être une caisse de résonance. Les accents de la musique paraissaient provoquer impulses, impacts et déformations. Abnormal nous laisse entrevoir les tourmentes d’un chemin de vie, parsemé d’allégresse, de luttes, de douleurs. Sa danse, bien qu’essentiellement impactive, se fait à la fois violente et joyeuse, et même mimesque vers la fin de la pièce quand il s’habille d’un nez rouge. À l’issue d’un combat, mené avant tout contre lui-même, le danseur semble s’en aller vers une certaine acceptation sans pour autant pouvoir s’extraire des auréoles de lumière.
Il en est de même pour Wook, qui nous emmène avec lui dans un voyage spirituel en quête de paix et de liberté. La pièce s’ouvre sur une performance acapella du danseur, qui reprend His eyes is on the sparrow de Lauryn Hill. Il se dégage à la fois une force et une vulnérabilité de ce moment, ancré dans l’ici et maintenant. La présence sans artifice du danseur est extrêmement touchante. Son corps ondule, glisse, se tend et se recroqueville, habité par la joie et par la souffrance . Cette danse est un rituel, une transe dans laquelle corps et âme vibrent en communion.
C’est la vie, en tant que force vivante éprouvée de l’intérieur, que Krypto, Wook et Abnormal nous ont donnée à voir sur scène. Des performances pleine d’authenticité livrées par des danseurs virtuoses qui nous invitent à nous interroger mais surtout à (res)sentir.
Par: Anne Florentiny